La maraude ou l’intelligence du coeur

Nous sortons en maraude depuis maintenant près de vingt ans. D’abord il y a eu l’indignation. Ensuite l’action. Agir. Nous sommes tous des volontaires. La volonté qui nous anime est logée dans le cœur, elle nous enjoint d’accepter ce que nous voyons et d’en tirer des conséquences, de faire des choix, nos choix. C’est l’intelligence du cœur qui donne ses forces à la volonté, car pour citer les mots incandescents de N. Sri Ram1 « la volonté est un produit de l’intégrité ».

 

« Le déracinement est de loin la plus dangereuse maladie des sociétés humaines, car il se multiplie lui-même. »
Simone Weil – L’enracinement

Cette intégrité est d’abord à établir avec soi-même en tête à tête, de cœur à cœur. Authentiques, redevenus enfants, intègres, puissants et vulnérables tout à la fois, nous pouvons assumer de dire :

« NON ». Il n’est pas possible de détourner nos pas, nos regards, ni nos mains de cet Homme, là, assis, là, couché. Cette situation n’est pas acceptable. Aucune négociation n’est possible avec ce qui se passe en moi à cet instant, avec ce que je vois, je suis touché. Touché, pénétré dans notre mutuelle humanité, c’est tout simplement inacceptable. Rien ne peut éteindre cet embrasement intérieur, rien ne doit éteindre cette flamme. Aucune idéologie, aucun mécanisme de justification ne doit étouffer ce Cri, cette douleur. NON, je ne peux pas plus rejeter celui qui vit sur le trottoir, que me séparer de lui, nier mon appartenance, notre commune appartenance à l’humanité. Comment éviter qu’une goutte d’eau ne s’assèche, disait le mystique soufi Rumî, si ce n’est en la rejetant dans l’océan…


« OUI ». C’est possible. Que je m’arrête. Que je m’assoie à côté de lui, que je lui sourie, que je lui prenne la main. Que je le considère, déjà. Touché mais pas affecté. Oui, je peux faire quelque chose, je peux être utile. Petit, grand geste, il sera fécond, s’il est Juste, si je suis juste. Ni impuissance ni fatalité, « sans peur et sans reproche », je me jette à l’eau. Cette goutte d’humanité qui perle à mon œil ne m’assèchera pas. J’ose. Non seulement j’ose « faire », j’ose « être », mais j’ose aussi toucher aux limites de ce que je peux « faire », de ce que je peux « être ». Mes limites ne m’empêchent pas d’avancer, bien au contraire. Mes limites me disent désormais où, et comment avancer. Je suis en marche, et j’apprends à faire surgir le courage, car la sagesse du guerrier pacifique que j’apprends à devenir me fait voir que la peur est un courage qui ne s’est pas encore exprimé.


Le « NON » de l’inacceptable, cette non compromission, c’est dire « OUI » à mon intégrité. Et dire oui à mon intégrité c’est dire oui à mes rêves, c’est libérer une force inépuisable, une force de lien, une force vive.


Dire Non et Oui, affronter cette apparente opposition, assumer cette contradiction, c’est entrevoir comme un rythme, comme un mouvement. Le cœur ne choisit pas entre systole et diastole, il choisit la vie. Combien de fois en quittant les « sans-abris » nous sommes-nous entendus leur dire nous même « merci ». Combien de fois les avons-nous entendus dire eux-mêmes « bon courage ». Qui donne à la fin ? Qui a besoin de quoi ? Gagnant-gagnant, c’est bien ainsi.
Qui rencontre qui ? Qui sommes-nous à la fin ? Les apparences cachent bien leurs jeux.  Si les corps sont sans abris, les cœurs ne sont pas mieux logés. L’errance, le déracinement n’est pas le propre des corps, les cœurs nous disent aussi qu’il existe une « Terre des Hommes » à reconquérir.   


1Nilakanta Sri Ram (N. Sri Ram) (1889 -1973) président de la Société théosophique de 1953 à 1973

 

 

 

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